Présidentielles 2012

J’entreprends d’écrire ce texte à la veille du deuxième tour des Présidentielles de 2012 et donc bien conscient de son apparent caractère décalé de l’actualité. Mais mon propos est intemporel et n’utilise le présent que pour tenter d’en briser la surface….
Depuis bientôt un an, si l’on compte les « primaires socialistes », la « vie politique » (quelle étonnante appellation !) est focalisée sur cette échéance et,… nous voilà enfin au bout ! La dramaturgie médiatique dont nous avons été abreuvés, jour après jour, événement après événement, petite phrase après petite phrase nous a envahis au plus profond de nos consciences et, sans répit, nous en rappelle la supposée importance.
Nous voilà encore une fois convaincus (enfin presque !) que cette absurde « incarnation » du pouvoir, qui ne sert plus aujourd’hui qu’à dissimuler les réelles sphères décisionnelles, est à nouveau porteuse d’espoir. La force de la démocratie représentative réside essentiellement dans cette capacité à chaque nouvelle élection d’effacer le passé et d’offrir un nouvel avenir. Et cela ne fonctionne jamais mieux que lorsque le « sortant » est responsable d’une grande désillusion et le prétendant encore « vierge » des compromissions consubstantielles à l’ « exercice du pouvoir ».
En l’occurrence nous sommes doublement servis !
Le premier, ayant dès le soir de son élection, souillé le costume qu’il venait à peine d’enfiler et en une soirée au Fouquet’s et une croisière sur le yacht de Bolloré, stupidement révélé ce qu’il avait réussi à dissimuler depuis des années et qui lui avait permis de tromper les esprits faibles et vieillissants de ce triste pays. La suite n’a été qu’une succession d’actes manqués, réduisant progressivement en lambeaux son déguisement si patiemment élaboré et démasquant son assujettissement aux intérêts de la classe économique dominante ainsi que son incroyable versatilité idéologique subordonnée à la seule courbe de sa popularité . Quant à son ultime tentative visant à récupérer les votes extrémistes de droite, par un discours Pétainiste sur le « vrai » travail, la stigmatisation amplifiée de l’immigration maghrébine et l’apologie des frontières, elle procède d’une si odieuse bassesse électoraliste que de nombreuses voix de son propre son camp ont dû s’en insurger. Que ce type d’élection provoque de telles dérives, qu’un parti fasciste à la façade ravalée puisse en ressortir démocratiquement légitimé et adoubé par une partie de la droite parlementaire en vue des législatives à venir, devrait scandaliser l’ensemble des institutions et des acteurs dits « Républicains » et les forcer à une condamnation unanime de cet individu néfaste et dangereux, mais surtout à remettre radicalement en question ce moment toujours considéré comme emblématique de notre « démocratie ».
Quant au second, qualifié par défaut et porté en avant par la pendable turpitude de son concurrent du parti socialiste, il n’a fini par acquérir la « stature » indispensable qu’à force de régime alimentaire et qu’en endossant la personnalité inversée du premier (un candidat/président « normal ») avec, pour seul référent, son parcours politique insipide, bonhomme, et piètrement consensuel. Qu’il puisse aujourd’hui porter l’espérance d’un peuple de gauche est tout simplement hallucinant, alors qu’il est directement issu du même formatage intellectuel que son adversaire, qu’il est le cacique par excellence d’un parti qui a depuis fort longtemps rendu les armes au néolibéralisme et qui a renié, pan après pan, pratiquement tout ce que l’idéalisme de Fourier, Proudhon ou même Jaurès a, un jour, porté d’espoir. Se laisser convaincre qu’il en est encore un représentant est parfaitement irrationnel mais, il est vrai qu’à l’inverse de son concurrent, ses dissimulations sont d’évidence bien plus subtiles, ses promesses plus humbles et modérées même si celle d’ un radical changement est tout aussi mensongère et illusoire (il semble que peu sont ceux n’ayant pas déjà oublié l’immense désillusion Mitterrandienne…).
Il est peut être temps de prendre conscience que les élections et tout particulièrement celles qui désignent « démocratiquement » les hommes (rarement les femmes) qui président aux Etats et qui sont considérés comme les plus puissants de la planète n’ont pour seul véritable et unique objectif que de légitimer la démocratie elle-même. Cette possibilité théorique, périodiquement renouvelée, d’une alternance idéologique a, depuis l’avènement du suffrage universel, rendu supportable et légalisée la mise en oeuvre, sans grands heurts, d’un modèle unique d’organisation économique et sociale, aujourd’hui hégémonique à l’échelle de la planète. La succession permanente des gouvernements de droite et/ou de gauche dans tous les pays n’ayant eu aucune incidence visible quant à l’orientation mondiale en action (productivisme incontrôlé et dévastateur, explosion des inégalités matérielles et sociales, destruction de la biodiversité, effroyable rapacité des banques et de la finance en passe de dominer le monde,…la liste est sans fin !) il n’est pas interdit de penser que nos votes, en définitive, ne servent à rien.
Mais ce n’est pourtant pas totalement vrai (et en l’occurrence cette fois ci pour la France c’est même crucial); cela nous permet de changer le personnage car les ravages sont à géométrie variable.
Et c’est bien là l’aspect particulièrement pervers et génial à la fois de cet asservissement à l’oeuvre, il y a eu, il y a et il y aura, quelle que soit l’idéologie du votant, toujours un « croque-mitaine » à éradiquer, et cette fatale personnalisation du pouvoir permet de donner sans cesse l’illusion de la possibilité du changement sans pour autant toucher aux fondements mêmes des structures décisionnelles dominantes, toujours invisibles. La devanture peut être refaite, voire le magasin réaménagé, mais les bureaux restent inaccessibles et immuables. Alors nous nous passionnons car l’enjeu, même perverti, n’est pas sans conséquences. Il en est pour preuve les taux de participations toujours très élevés, que les politologues patentés interprètent, sans rire, comme l’incontestable engouement du Français pour la politique, qui au final ne révèle qu’un dégout unanime, mais scindé en plusieurs camps, de tous les candidats en lice et débouche en définitive, très rapidement, sur une accablante déception . Par exemple, qui se souvient encore de l’enthousiasme planétaire qui porta Barak Obama à la tête des USA pour succéder au pantin W Busch?
Cette succession infinie d’espérances et de désillusions est un extraordinaire moteur à motivation qui s’applique à présent pour les dernières tyrannies en place et devrait permettre à terme au néolibéralisme de « démocratiser » l’ensemble de la planète (le printemps Arabe en est le dernier exemple). La religiosité des nouveaux dirigeants ne posant véritablement problème que par les flagrantes contradictions aux principes démocratiques qu’ils arborent en vitrine et qui entachent quelque peu leur légitimité. Mais est ce que le despotisme, par essence anti démocratique, de leurs prédécesseurs n’a jamais contrarié leurs fructueuses « collaborations » avec l’économie occidentale…. ? Ce qui compte réellement c’est la médiatisation du soulèvement des peuples revendiquant « notre » démocratie. Ne peut-on rêver plus belle légitimité de notre système politique que de le voir et l’entendre revendiquer par des populations soumises au joug de tyrannies avérées ? Et peu importe que nous (pays dits « développés ») en ayons été les instigateurs et les bénéficiaires attitrés, que leur pérennité ait été essentiellement dépendante de nos intérêts économiques et stratégiques, et que la réussite ou l’échec de ses insurrections demeurent assujettis à notre soutien sélectif (Lybie ou Syrie ?).
En France, la mythologie révolutionnaire de notre histoire, renforce d’évidence cet emballement émotionnel quinquennal que, dans une effervescence vénale, les médias célèbrent sans aucun recul et en toute collusion avec le monde politique. La totalité des acteurs du monde éditorial se comportent comme des « journalistes embarqués » (embedded journalism) et commentent à l’infini et sans aucune distance critique un spectacle pré formaté qu’ils livrent au peuple, estampillé du sceau de leur déontologie corrompue. Rien de ce qui nous est « vendu » n’a d’objective réalité ! Cette prodigieuse mascarade nous conte l’histoire d’un « vrai » débat susceptible de répondre aux essentielles questions qui rongent notre société et de nous permettre de choisir celui (ou celle) de ces prétendants au poste « suprême » qui nous guidera vers les eaux paisibles d’une harmonie sociale reconquise et méritée.
Or, point de discussions et d’échange de vues, nulle analyse sérieuse et critique de nos problématiques, aucun état des lieux préalable avant le changement ou la reconduction du « propriétaire », permettant de juger du travail accompli (ou non !) au vue des promesses claironnées. Rien, nada ! Des heures et des heures de « communication » peaufinées, de programmes et de promesses dont déjà Charles Pasqua disait, avec toute la « franchise » qui le caractérise, qu’ « elles n’engagent que ceux qui y croient », une litanie de meetings (1) avec retransmissions intégrales, formatés et contrôlés jusqu’au moindre détail par les « directions de campagne », une saturation médiatique de commentateurs et d’ « experts » se pourléchant de bavardages savants et subtils sur la variation, au jour le jour, des sondages permanents sur les « intentions de vote » pour chaque candidat et sur les courbes de leur évolution, pour enfin, , suspens final, aboutir au tant attendu « match » décisif, que tout observateur sérieux s’accorde à considérer sans aucune réelle incidence, que 18 millions de spectateurs s’obligent à regarder jusqu’au bout de la nuit et dont ils ressortent laminés et confus.
Et ils appellent cela une « campagne » électorale, au premier abord référence incongrue à la terminologie militaire mais, en définitive fort bien approprié au vue du champ de » bataille rangée » auquel nous sommes, spectateurs passifs et consternés, forcés d’assister.
Quelle corrélation avec l’idéal démocratique ? En quoi sommes nous réellement informés et où, quand et comment est-il tenu compte de notre avis personnel et/ou collectif? Souhaitez-vous un exemple flagrant du mépris de notre prétendue souveraineté décisionnelle par ailleurs sans cesse flattée et idéalisée ? En voici un vraiment épouvantable : Notre politique énergétique nucléaire (58 réacteurs en 2011 répartis dans 19 centrales en activité) confrontée à l’impensable désastre (toujours en cours…!) de Fukushima au Japon… !
Est-ce qu’une population honnêtement informée des réels et incommensurables dégâts, présents et à venir, provoqués par l’absolu crétinisme (ou l’intolérable cynisme) des instances dirigeantes de ce pays (une « machine infernale » nucléaire installée sur une faille sismique à quelques centaines de mètres d’un océan, source certaine de tsunamis à intensité indéfinie), par ailleurs avertie de l’équivalence des risques encourus par une majorité de sites français (risques sismiques, inondation, vétusté, terrorisme, etc.) et de la faiblesse objective de nos prétendus « conditions de sécurité [dites] les meilleurs du monde » se prononcerait, en majorité, pour la prolongation de l’ effroyable risque ou pour le démantèlement pur et simple, et au plus vite de la filière ? A moins de penser que nous vivons dans un pays de parfaits demeurés congénitaux la réponse ne laisse aucun doute.
Mais voilà ! Cette question cruciale, primordiale, qui peut oblitérer notre avenir en quelques instants catastrophiques, n’a suscité aucune controverse publique sérieuse et argumentée. Bien au contraire elle a été honteusement rabaissée pour servir de sujet de marchandage en vue des prochaines législatives entre les écologiques et le PS et subordonnée par les deux finalistes aux seuls « enjeux économiques » ; la minable « chamaillerie » sur la nécessité ou non de fermer Fessenheim lors du débat du 2 mai exposant le mépris arrogant de l’un pour ces questions au regard de la nécessité de « croissance économique » et de notre soit disant « indépendance énergétique » et le malaise évident de l’autre à affirmer une position claire et tranchée au risque d’hypothéquer son succès annoncé devraient suffire à disqualifier définitivement ces deux impétrants, tant ils apparaissent inconscients de l’urgence vitale (notre propre survie) d’une radicale mutation et totalement incompétents à en esquisser la moindre orientation sensée!
Alors, ce matin, seul l’incontournable nécessité de se débarrasser de celui qui obscurcit notre horizon depuis cinq ans et dont la seule évocation suscite dépression et nausée, vont me faire déposer un bulletin « Hollande » dans l’urne républicaine! En souhaitant que ce texte m’aide à le faire sans trop me sentir incohérent….

Le 6 mai 2012
Singulier.eu

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(1) Comment arrive-t-on à présenter un tel rassemblement comme l’expression d’une dynamique démocratique ? Comment un homme (ou une femme) seuls, campés sur une estrade, auréolés de tous les artifices de la mise en scène (lumières, musique, écrans géants, sono, public de militants, etc.) déclamant un discours emphatique de dénigrement du passé et d’exaltation d’un avenir radieux consécutif à son succès peut –il prétendre incarner la « Res Publica » ? Et comment arrivons-nous à oublier ces foules agglomérées au pied des tyrans, galvanisées par des paroles infâmes, subjuguées par des charismes incertains, servant, au final, de légitimation populaire aux pires dictatures ?