Nous sommes issus d’un univers  incommensurable, inaccessible à la raison et constituons à l’intérieur de notre  enveloppe charnelle sa face inversée tout autant incompréhensible. Cette prise  de conscience vertigineuse ne peut s’opérer sans effroi car elle ne nous offre  aucune perspective rationnelle. Pourtant c’est bien uniquement par notre simple  capacité déductive que nous accédons à cette conscience. La raison en tant que  faculté de l'esprit humain à percevoir et organiser ses relations avec le réel  nous offre une connaissance du monde tout en y rencontrant des limites  irréductibles lorsque l’on approche de l’infini (grand ou petit). Etrange  similitude qui circonscrit notre capacité à penser les bornes physiques de  notre univers puisque la rationalité elle-même n’est plus apte à en rendre  compte. Pour autant la redoutable efficacité   technologique issue de notre intelligence logique ne cesse, en  apparence, de nous offrir une domestication croissante de ce que nous nommons  notre « environnement ». Evidemment les limites de ce processus sont  également incontournables (celles de la terre et de ses ressources énergétiques  et matérielles disponibles pour nos appétits) et pourtant nous continuons à  courir vers le précipice en chantant (J’ai entendu un économiste affirmer sans  rire qu’il fallait « ré enchanter »   le capitalisme / Bernard Stiegler). La pensée scientifique  devrait nous en préserver en nous offrant d’autres pistes mais ce que nous  désignons comme « le monde rationnel » est en train de régresser en  synchronisme avec la réduction programmée de son champ d’investigation.  L’utilitarisme néolibéral a envahi la recherche l’assujettissant aux seuls  objectifs d’applications marchandes à court terme et nous nous posons de moins  en moins, en tant qu’espèce, les questions relatives au sens de notre présence  dans cet univers. 
  De là, il me semble essentiel d’envisager  que l’angoisse consubstantielle au mystère de notre existence, associée  à la certitude de notre mort programmée est à  la source de toutes les névroses mystiques qui aliènent l’esprit humain depuis  l’origine de l’humanité. Moins d’un individu sur sept(1)serait  actuellement indemne de toute influence théologique ce qui, de plus, n’indique  pas qu’il n’a foi en rien. Il n’est pas question ici de contester la liberté,  pour chaque individu de croire  en des Dieux, quels qu’ils soient,  « aux arrières mondes », ou « à l’au-delà », ou bien même « à la  réincarnation » ou « aux extra terrestres », ou à toutes autres entités ou  phénomènes par essence surnaturels, susceptibles de soulager sa détresse devant  l’inconnu, mais bien d’affirmer que le progrès pour une civilisation  implique une organisation sociale  émancipée  de toutes règles fondées sur  la loi divine. D’ailleurs tout véritable mouvement révolutionnaire tend à se  débarrasser des pouvoirs religieux.
  En France celui de 1789 précédé du  « Siècle des Lumières » en fit naitre l’immense espoir en séparant  institutionnellement l’église de l’état en seulement six années (de 1789 à  1795), ce que le parlement français renforcera   en 1905 en votant la loi du  même nom. Les intellectuels du XVIIIème   siècle ont fondé la pensée rationnelle et déductive à la suite de  Galilée, Descartes et Newton et ont offert enfin aux hommes une ouverture vers  la lucidité. Ils ont pulvérisé irréversiblement   des siècles d’inepties, d’insanités et de crétinisme et ouvert enfin la  perspective d’un monde régi par l’intelligence. 
  Pourtant  les XIXème et XXème siècles ont vu s’écraser cette espérance sur l’échec des  praxis communistes laissant  ainsi le champ libre à un capitalisme débridé, justifié par sa seule survie en  tant que système. Et peut-on décemment penser que le religieux et ses  thuriféraires n’ont pas lourdement pesé dans ces tragiques désastres. Bien  qu’écartés en apparence des sphères politiques décisionnelles leur influence  fut (et demeure toujours) déterminante. Nos sociétés occidentales sont toutes  fondées sur une morale religieuse (chrétienne, protestante ou hébraïque pour la  majorité d’entre elles) et nos émotions, notre langage, l’ensemble de nos  structures de pensée y sont assujettis (la plupart du temps d’ailleurs à notre  insu…). Au cours de ces siècles la totalité des pouvoirs réactionnaires qui ont  ardemment luttés contre l’avènement de modèles sociaux progressistes ont  toujours rencontré le soutien des pouvoirs religieux et ont puisé leur  légitimité populaire auprès de la masse des « croyants ». Cette  collusion d’intérêts a  d’ailleurs été  souvent assumée publiquement (La guerre d’Espagne, le Vatican en lutte contre  le communisme, l’Opus Dei, le soutien aux dictateurs d’Amérique Latine, etc.,  etc.). Mais de manière plus pernicieuse c’est au fond des esprits que réside  l’influence déterminante du formatage religieux. Il est facile d’en révéler  quelques exemples évidents communs à l’ensemble des religions. 
  En vrac : Les définitions  implicites du bien et du mal, les tabous sexuels,  le sentiment de culpabilité, l’infériorité du  sexe féminin et son état diabolique (le péché originel), le respect de l’ordre  établi et de la hiérarchie, la charité et le pardon, etc. ! Et cela ne  concerne pas que les croyants (pratiquants ou non) mais bien l’ensemble du  corps social sans exception  car il  s’agit de notre « bain » culturel. Il faut tenter d’être « libre  penseur » pour en mesurer le poids! 
  Toutes ces résistances  inconscientes, inscrites au plus profond des mentalités ont toujours servi de  terreau aux forces réactionnaires issues des pouvoirs contestés et parfois renversés.  Elles les ont toujours instrumentalisés sans vergogne depuis l’avènement de la  démocratie représentative et il est facile de constater que les forces  politiques, dites de droite, sont indéfectiblement associées aux pouvoirs  religieux. Et ce n’est pas notre présent qui me contredira ! 
  Alors si l’immense majorité est  toujours assujettie à des croyances   irrationnelles concernant l’essence de notre existence sur terre comment  envisager l’idée même d’une gouvernance démocratique?  En effet comment prétendre organiser et faire  évoluer les rapports entre humains (par les humains) alors que  « Dieu » est le seul maitre de l’univers? Il est bien plus simple de  se référer à la loi divine (par essence parfaite et, de plus, les textes  abondent!) et laisser ses représentants sur terre nous les enseigner, voire  nous les imposer si nous y sommes un tant soi peu réfractaires et, in fine,  éliminer physiquement les irréductibles « brebis galeuses » si  nécessaire (cf. la « révolution » Libyenne se désintégrant avec  l’instauration de La Charia!). Voilà pourquoi la notion de « démocratie  religieuse » est à jamais un simple oxymore  et toutes les démocraties occidentales de  tristes mystifications car toutes adossées à leur culture religieuse. Ne  voulait-on pas d’ailleurs inscrire nos « racines chrétiennes » au  fronton de feu notre constitution européenne ? Il est actuellement  particulièrement cocasse et édifiant d’écouter les cris d’orfraie de la classe  politique européenne devant les résultats des premières élections dans les pays  arabes (de fait jusqu’alors sous le joug de tyrans installés et maintenus au  pouvoir par leurs soins… !) donnant 30 à 40% de suffrages aux partis  religieux. Oubliées les démocraties chrétiennes Allemande et Italienne, ignoré  le voyage de Sarkozy au Vatican (avec Bigard c’est vrai !) et la réception  du pape en grandes pompes au frais du contribuable français (et aussi anglais),  invisible la présence d’une église, d’une cathédrale  ou d’un temple dans chaque ville ou village de  France (Mitterrand ne se fit-il pas élire grâce à une fameuse affiche de  campagne d’origine Pétainiste avec le clocher bucolique en arrière  plan ?), négligé le « God bless you, and God bless the United States  of America» clôturant chaque discours du président Obama, ainsi que le chant  « God bless America » devenu depuis le 11 septembre 2011 chant  « patriotique », en passe de détrôner l’hymne américain! 
  A moins que le racisme ordinaire  anti arabes ne les fasse apparaitre comme moins « civilisés » que  nous et soumis à une religion plus stupide que les nôtres, c’est un miroir tendu  qui nous est insupportable. Nous leur réfutons la capacité d’établir un régime  démocratique à partir d’une loi religieuse alors que c’est ce que nous avons  toujours fait et continuons à faire. En définitive nous n’arrivons pas à en  accepter le lumineux enseignement: Nos propres régimes politiques ne peuvent,  pas plus que les leurs, prétendre être démocratiques puisqu’ils sont imprégnés  de morale religieuse. Et peu importe que ce soit Mahomet ou Moïse qui en aient  écrit les textes fondateurs car, à y regarder de près, où sont les  différences ?
  Il n’y a de démocratie  (gouvernement par le peuple, pour le peuple) possible que pour des esprits  affranchis des ténèbres de la foi. Le rêve du triomphe de la laïcité  (que l’on assimile à tort à celui de la  raison sur la croyance) s’effiloche sous les coups de boutoirs conjugués des  institutions religieuses de tous bords, des forces politiques réactionnaires  qui redoutent depuis toujours l’émancipation des peuples et enfin des pouvoirs  économiques qui ne cherchent qu’à formater des éléments dociles, efficaces et  soumis dans le seul but d’optimiser leurs rendements et profits. D’autant plus  que certains de ceux qui prétendent encore la défendre ajoutent à la confusion  avec l’argument de tolérance. Car il existe une faille immense  dans l’instauration de cet idéal  où se sont engouffrés tous les mouvements  intégristes et que la faiblesse intellectuelle de gauche ne sait pas endiguer.  Nous sommes confrontés ici à un grand malentendu sémantique, historique et  politique. En effet le terme laïque où laïc ne fait comme la plupart des gens  le croit référence à une personne non religieuse mais un vocable  théologique désignant quelqu’un qui ne fait pas partie du clergé, un « non  clerc » en quelque sorte mais dont la foi n’est absolument pas mise en  doute. L’évolution de son sens après 1789 « Personne qui n'est pas liée à  l' Église ou à toute institution religieuse en général tout en pouvant  éventuellement être croyant et pratiquant d'une religion », n’ efface d’ailleurs pas ce schisme  sémantique originel (à ce propos il est essentiel de constater qu’il n’existe  pas de terme propre à l’état de non croyant mais uniquement en référence  négative à la foi2).  La société laïque n’est donc pas une société non religieuse mais seulement un  espace social où toutes les croyances sont tolérées, même celle de ne pas croire. Du point de vue du religieux  l’athée est donc considéré, au mieux, comme un croyant comme les autres, et, au  pire, un danger car contestant par la rationalité les fondements de sa  crédulité et …ses jours sont peut être comptés.  
  In fine la république  anticléricale de 1789, secouant le joug millénaire d’aliénation spirituelle,  celle des « Liberté, Egalité, Fraternité », n’est plus qu’une pauvre  vieille en haillon, réduite à garantir à chacun le droit de choisir la source de  son anesthésie et de son inconscience.
  Et tout cela au nom de la  tolérance, « vertu » directement issue de la morale religieuse s’il  en est, que la gauche politique s’est niaisement appropriée, et qui annihile  toute velléité de jugement en nous faisant hypocritement « croire »  que toute manière de penser se vaut et est, par essence, respectable. Valeur  morale d’ailleurs que toutes ces religions ont frénétiquement bafouée au cours  de leur histoire tant-il leur est consubstantiel de combattre ceux et celles  qui s’obstinent à refuser leur loi unique. D’ailleurs le terme ne présente  aucune ambigüité si l’on veut bien prendre la peine de s’y attarder un instant.  Il est emprunté (1393) au latin tolerare « « porter,  supporter » (un poids, un fardeau physique ou moral). Le verbe est passé  en Français avec le sens du latin « supporter en souffrant » (une  peine). Ce sens est sorti d’usage, l’idée de « patience » s’étant  substituée  à celle de « souffrance »  et le mot a pris les valeurs de « supporter avec indulgence (ce que l’on  n’approuve pas chez quelqu’un) » (1469), « supporter »  (quelqu’un que l’on n’approuve pas) » (1695) et « supporte  patiemment  ce que l’on trouve injuste,  désagréable ». A l’époque classique, tolérer a aussi  développé un sens spécial plus actif (nous y  voilà) « faire preuve d’ouverture en matière religieuse » (v.1640)3.
  Il est donc bien évident  que la tolérance ne peut se résumer, comme  voudraient nous le faire croire aujourd’hui les « défenseurs » de la laïcité,  à l’acceptation sereine des convictions d’autrui; pour ma part je n’y vois qu’une  piètre et surtout contreproductive tentative morale visant à endiguer le  fanatisme religieux !
  C’est en réalité une notion à  géométrie variable se déplaçant  de la  vertu au simple état d’esprit, du principe moral et/ou politique à la  législation et ne signifiant, bien sûr, pas toujours la même chose en fonction  de ceux qui l’énoncent et l’utilisent.
  La théorie, qu’en fait  Locke en  1689, entre ouvre la porte à la séparation entre l’église et l’état : Il considère  que ce n’est pas à l'État de s'occuper de l’âme de chaque individu, condamne l’évangélisation  par la contrainte physique mais, en plein paradoxe, exclut  les athées de ses bonnes grâces4.Dès son origine  le principe  a pour objectif, en période  d’intenses conflits religieux, de persuader les religions monothéistes, intolérantes  par essence, d’au moins tenter de se tolérer entre elles….ce qui  consiste d’abord à demander, par un effort  condescendant, aux tenants du pouvoir théologique dominant de supporter « l’aveuglement »  des hétérodoxes. On mesure bien déjà les limites de l’exercice, d’ailleurs inchangées  à notre époque.
  Car rien n’a vraiment changé !  Il s’agit toujours, sans être indifférent (car non concerné), ni soumis (choix  délibéré), ni indulgent (pas de pardon), ni permissif (car inconditionnel), ni  dans la simple acceptation (pas de consentement)  au final de  tolérer  ce qu’à ce stade il me devient difficile  de préciser…si ce n’est peut être par consentir,  autoriser mais contre mon gré, donc me faire violence pour ne pas l’engendrer. 
  Mais il m’apparait nécessaire  ici, pour lever une ambigüité, de définir au moins deux champs essentiels de  tolérance ; celui qui concerne uniquement les relations interpersonnelles  et celui que régente (est censé régenter) la république ou/et l’état. Même, si  d’évidence les deux se recoupent, c’est  uniquement du second que je traite ici ! Tant il est vrai que les questions  de tolérance entre deux amis ou deux voisins ne sont pas du même ordre que  celles qui peuvent surgir, par exemple, entre les juifs et les musulmans ou  bien, et vous l’aurez compris c’est là, surtout, ce qui m’intéresse, entre les  croyants et, ceux qui n’ont pas de noms,  les non croyants .  
  De  fait, seul l’athée est réellement apte à tolérer ce qui heurte et contredit  son intelligence, car, lui, pense et donc ne  croit pas 5!Ainsi il ouvre une place dans sa conscience, construite sur le doute, à toutes  les crédulités dans la mesure où il sait qu’elles ne sont que soumissions  (volontaires ou non) à un ordre extérieur établi. Et c’est ce qui fait de lui la  cible prioritaire de tous les intégrismes !
  Ceci prouve également  qu’il existe un sentiment de supériorité  intrinsèque à l’idée même de tolérance, et que tolérer c’est dominer ! Et  en définitive,  il ne sera possible de  supporter  (et non de tolérer) la  croyance d’autrui qu’à condition qu’elle demeure privée, non ostentatoire, ni  prosélyte! La conscience du mystère de notre existence  et celle de l’univers dont nous sommes issus  nous force à l’humilité et autorise toutes les convictions si elles restent  individuelles car, agrégées en religion, elles n’offrent que des réponses  insensées qui ne produisent depuis des millénaires qu’un sanglant et monstrueux  chaos. L’histoire terrifiante des conflits religieux depuis deux millénaires  m’en est témoin ! Seul un projet politique totalement débarrassé de toute  doctrine théologique et qui regarderait en face la réalité de notre espèce pourrait,  peut être, en endiguer la crédule stupidité!  
  Mais la confiscation des  révolutions arabes par les pouvoirs islamiques nous fait vivre en direct l’éternel  dévoiement qu’a  subi l’ensemble des  révoltes populaires. Une petite partie éclairée de la population s’insurge (en  l’occurrence une jeunesse assoiffée de liberté et de justice sociale) et  s’organise pour tenter de renverser les oligarchies en place, prend les risques  physiques corrélatifs et en cas de  victoire (dramatiquement rare) se  fait immédiatement dépouiller de toutes ses ambitions par de  « nouveaux » réactionnaires aux aguets (en l’occurrence musulmans). Et  la démocratie entérine !
Le 30 avril 2012
Revu et corrigé le 12 février 2014
Singulier.eu
  1http://www.atheistempire.com/reference/stats/index.php 
  2 Sur ce sujet le « traité d’athéologie » de Michel  Onfray  (cf.  www.singulier.com/livres.html ) est  certainement l’ouvrage de référence indispensable à tout esprit éclairé
  3 Alain Rey (Le dictionnaire historique de  la langue Française. Le Robert)
  4 Lettre sur la tolérance : « Ceux qui nient l'existence d'un  Dieu ne doivent pas être tolérés parce que les promesses, les serments, les  contrats et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile,  ne sauraient engagés un athée à tenir sa parole »
  5 « Penser n’est pas croire » à présent édité.