La Démocratie

Depuis l’effondrement du modèle soviétique (une vingtaine d’année), « La démocratie » est devenu le seul modèle de référence, mais pas n’importe lequel uniquement celui qu’inaugura Winston Churchill le 13 mai 1940 en déclarant: « Democracy is the worst form of Government except all those other forms that have been tried from time to time »(*). Celle qui s’appuyait déjà sur le libéralisme économique et les élections représentatives, celle qui permet aux « élites » de maîtriser et monopoliser le pouvoir quitte à se le partager par alternance, celle, aujourd’hui, dont tous les défauts sont légitimés par avance du fait qu’il n’existe pas d’autre forme de gouvernement qui lui soit supérieur puisque l’idée du communisme est considéré comme définitivement morte  avec l’URRS. Cette affirmation, en quelque sorte « visionnaire », est la pierre fondatrice de tous les édifices intellectuels qui depuis annoncent et prônent la fin de l’histoire.
Ce  régime politique, étymologiquement  « le  peuple  commande » (donc dans la réalité mensonge éhonté !), serait  donc, en ce début de millénaire, la forme de gouvernement  indépassable quelqu’en soient les imperfections … ! Mieux encore ses dirigeants n’hésitent pas à « l’exporter », manu militari si nécessaire, sur  l’ensemble de la planète.  Et personne ne s’interroge ?
Etonnant aveuglement des élites intellectuelles, qui  à quelques exceptions près, se font les ambassadeurs de ce nouvel impérialisme en les légitimant sans vergogne de leurs discours alambiqués. Au nom de la démocratie que de guerres néocoloniales (j’assume le mot !) entreprises dans les dernières décennies : Afghanistan, Irak,  aujourd’hui Lybie…mais tiens ! Pas la Syrie ! Etonnant, non ?
Rien de bien nouveau d’ailleurs dans cette utilisation fallacieuse de la défense de la souveraineté du peuple pour masquer les intérêts avides de  l’économie néolibérale de marché,  et des gouvernements qui  la soutiennent. Les guerres se sont toujours faites et se font bien évidemment encore  au nom d’idéaux qui les transcendent et les justifient.  Le « Plan Com » atteignant son efficacité  optimum lorsque l’on peut joindre la menace du territoire (Twin Towers, armes de destructions massives) au  bienfait humanitaire (renversement du tyran et protection des populations civiles  « innocentes »). Il est toujours profondément surprenant que de telles évidences intellectuelles et historiques soient si facilement ignorées.
Avant de nous considérer comme modèle il devrait être indispensable d’entreprendre une critique fouillée de nos institutions et ce au nom des principes et idéaux qu’elles sont sensées  protéger et promouvoir. Aujourd’hui il est d’ailleurs facile de démontrer que, dans les pays occidentaux,  cette soit disant souveraineté populaire n’est plus qu’une façade médiatique auquel  tout esprit un peu libre n’a plus aucune raison de croire ni de se fier.
Le dévoiement du principe fondateur (gouvernement pour et par le peuple) ne date bien évidemment pas d’aujourd’hui. D’ailleurs, alors que le communisme (une des formes les plus avancées  de  l’idéal démocratique fut  immédiatement perverti par les antinomiques concepts  de « Dictature du prolétariat » ou de « Gardien(s) de la révolution ») et n’a jamais été véritablement mis en  application (hormis peut être, « naturellement » chez certaines  tribus africaines et amérindiennes pour la plupart disparues  et  immédiatement qualifiées par les ethnologues de primitives), il est clair, historiquement parlant, qu’en référence à l’idée originelle de ce que devrait être une démocratie toutes les formes modernes (parlementaire, présidentielle, libérale, etc., voire même participative (le comble du comble.. !) ont inexorablement été dévoyées par les prises de pouvoir personnelles (coup d’état constitutionnel, dictature du prolétariat et représentativité élective)!
Nous, simples citoyens,  en sommes donc  réduits au dérisoire « droit de vote » comme unique expression de notre implication politique. Il nous est même présenté comme le symbole ultime (unique ?) de notre appartenance à un pays démocratique.  Le slogan de Sartre « Elections, piège à cons » n’a rarement eu si belle actualité !
Mais nous déléguons nos prérogatives à des individus qui ont été  formatés par le système pour le servir, au mieux inconsciemment (signe de grande incompétence) ou au pire cyniquement (d’abord se servir !).  Ils constituent  incontestablement une caste, à laquelle il n’est possible d’accéder que par un long parcours  d’adoubement et dont il est ensuite terrifiant d’être rejeté. Les partis politiques n’ayant, à cet égard  qu’un rôle de marche pied et de sélection ; d’abord ceux dits  « de gouvernements», mais également la majorité des autres d’évidence incapables de juguler les ambitions personnelles…. Et nous en sommes toujours, en France, à tenter de réduire (même pas de supprimer !) depuis plus de 30 ans (1981…) le  cumul des mandats alors qu’il faudrait, en préalable à toute réforme institutionnelle, tout simplement déprofessionnaliser la politique  ce qui reviendrait  à exiger des élus actuels un suicide collectif. La simple logique interdit donc toute possibilité réelle d’évolution.

Notre régime politique dit présidentiel (ce depuis De Gaule à nos jours et totalement ridiculisé et discrédité par le dernier hôte de l’Elysée) n’est d’ailleurs qu’une « monarchie républicaine », lumineux oxymore qui rend parfaitement compte du non sens idéologique de nos soit disant démocratiques  institutions.
Que nous reste-t-il  en occident comme « démocraties libérales » à présent plutôt « néo libérales » (sic !) en opposition aux « populaires » en voie d’extinction?

  
Exit donc l’association démocratie et représentativité. Ces deux termes sont définitivement antinomiques et ne servent qu’à instaurer, promouvoir et pérenniser des systèmes  de gouvernance autocratiques emballés dans les oripeaux de la république.
Reste, ce que l’on pourrait nommer  « démocratie directe » soit une organisation sociale  offrant à chaque personne le droit et le devoir d’élaborer et de voter les règles régissant toute son existence. L’éducation, le travail (lequel et pourquoi faire ?), la santé, l’habitat, la production d’énergie, l’écologie, etc.etc.).   Elle est d’évidence purement théorique (utopique traduiront les chagrins)  mais c’est la seule  en cohérence avec son intitulé et qui de ce fait mérite pleinement d’être explorée et confrontée à la réalité humaine.
Mais le simple constat de l’immaturité politique de la majorité de la population ne rend-t-il pas, à priori, son avènement définitivement  irréaliste ?  Il faudrait imaginer un individu citoyen, éduqué selon les principes du respect d’autrui  et de sa parole, conscient en permanence que sa liberté s’arrête dès qu’elle empiète sur celle de son semblable, réfractaire aux hiérarchies et rebelle à toute soumission volontaire mais curieux de tout et modeste devant ses incompétences, avide de justice et de vérité, sachant faire la différence entre l’égalité et l’équité, autonome mais solidaire, etc. Est-il si illusoire de penser qu’aucune civilisation digne de ce nom ne soit susceptible de former ce genre d’humanité et que cette perspective ne puisse être un fantastique moteur de transformation sociale ? Il est bien plus probable qu’aucun pouvoir en place depuis des millénaires ne veuille instruire de tels être humains mais bien au contraire en redoute et contrarie l’apparition.
D’ailleurs  il suffit de voir le film documentaire « Ce n’est qu’un début » réalisé par Jean-Pierre Pozzi  et Pierre Barougier sur une expérience d’éducation philosophique en classe maternelle d’une ZEP de Seine-et-Marne pour prendre conscience qu’il serait tout à fait possible de former  de nouvelles mentalités en une seule petite génération si le système éducatif avait pour réelle ambition d’éduquer et non de soumettre. L’humanité recèle en elle-même une fantastique plasticité qui ne demande qu’à s’épanouir  mais la partie d’entre nous qui prétend diriger n’accède aux commandes que stupidement portée par d’archaïques pulsions.
Car ce n’est en aucune manière le type d’être humain  que j’ai essayé de décrire ci-dessus qui s’engage dans les luttes de pouvoir intestines des partis politiques et surtout qui en sort vainqueur pour être candidat aux postes de responsabilités. Ni ceux, au sein des administrations publiques ou privées, dont les parcours sans aspérité ni éclat leur permettent d’accéder aux plus hautes fonctions. Encore moins, au cœur des entreprises privées où priment l’arrogance et  la capacité à détruire sans pitié tout obstacle sur la route de la réussite. Cette oligarchie, soit disant représentative, n’est le miroir que d’elle même  soit  d’une petite minorité apte à toutes les compromissions et toutes les trahisons, convaincue et imbue de sa propre supériorité, vénale donc corruptible, pragmatique donc cynique, et définitivement attachée à ses petits ou grands privilèges au point d’y sacrifier toute estime de soi.
C’est ce rebut d’humanité qui de manière tristement paradoxale s’approprie l’ambition de nous servir de guide et s’autoproclame « Elite de la nation », se coopte et s’auto légitime, construit et protège ses prérogatives, et comble du comble prétend être, via l’organisation burlesque d’un « suffrage universel », l’émanation démocratique et républicaine de la libre décision des peuples.
Quelle puissance nous empêche de balayer cette imposture d’un revers de main agacée ? Comment cet insupportable assujettissement  opère-t-il en nous et nous rend simple témoin de notre propre abandon ?  Alors que cette brutale vérité s’étale au grand jour sous nos yeux hallucinés ; qu’en France nous assistons impuissant à l’agitation désordonnée d’une improbable caricature de ce que nous avons jusque là cru nommer à la tête de l’état : Un Président de la République. Ce « machin », comme l’a si bien désigné  un soir l’inspiré Emmanuel Todd, a pourtant l’immense avantage de nous déciller sur la fonction présidentielle en nous démontrant par l’absurde l’inanité de son rôle et l’évidente inutilité de son existence. Car enfin s’il est possible qu’un tel personnage accède « aux charges suprêmes » (comme on dit !), il devient forcément irréfutable qu’il faut de toute urgence supprimer ce mandat.
Cet homme symbolise à lui seul la faillite définitive de la représentativité en politique au point que la seule véritable motivation à participer aux prochaines élections ne peut être que l’immense espoir de son « expulsion ».
Cinq ans de plus nous plongeraient dans des abîmes de renoncement !  

Le 5 avril 2012
Singulier.eu

 

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(*)  « La démocratie est le pire système de gouvernement, à l'exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire».