Euthanasie ! Un débat sans fin et sans objet !

En cette période historique incertaine, et d’une certaine manière en phase avec notre futur obscurci, la thématique « fin de vie » agite considérablement les champs politiques et intellectuels, d’autant que, ne laissant personne indifférent, elle est d’évidence pain béni pour l’audience médiatique. Les tragédies innombrables qui ont lieu quotidiennement dans les hôpitaux et les maisons de retraites médicalisées, nommées à présent : Etablissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et qui, bien sûr n’épargnent et n’épargneront  aucune famille, forcent, lentement mais inéluctablement, les « Pouvoirs publics » à agir, enfin surtout,  à communiquer leur compassion et afficher leur détermination à « prendre le problème à bras le corps » (sic !).
Pourtant certains gouvernements de pays voisins ont déjà pris, au début de ce siècle, les décisions juridiques qui s’imposent.  L'euthanasie active est ainsi légale dans trois pays : les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. Le suicide assisté l’est en Suisse ainsi que dans les États américains de l'Oregon et de Washington. De plus,  nombre de pays interdisant l'euthanasie active, dont le nôtre, ont légalisé l'arrêt des traitements à la demande du patient, interdit l'acharnement thérapeutique et institué des initiatives d'accompagnement des patients en fin de vie.
Par contre, en France, pays fascinant par sa capacité culturelle (sa propension) à produire des « débats intellectuels » d’une extrême richesse apparente (signe, à priori incontestable, de sa grande vitalité démocratique) il est facile de constater que leurs  effets sur le réel  semblent inversement proportionnels à leur fécondité argumentaire.
Ce matin, vendredi 31 janvier 2014, la retransmission sur France culture (dans le cadre de la quotidienne : Les Nouveaux chemins de la connaissance,  d’une émission étrangement intitulée, « Suicide assisté, la loi peut-elle s’affranchir de la morale ? »1 me donne l’occasion, et le prétexte, d’analyser ce phénomène, et de risquer quelques idées sur notre immaturité civilisationnelle dans notre rapport à la mort.
D’abord,  cette émission, qui ne vaut qu’à titre d’exemple, et dont il est d’abord assez facile, à son écoute, d’en mesurer la faiblesse théorique,  m’apparait  d’abord révélatrice de l’extraordinaire  méconnaissance (ou peut être mépris) de ce que devrait être un débat démocratique puisque c’est bien, en principe, à lui que nous sommes ici conviés.

  1. Les opinions, ici tenues, sont un condensé assez exhaustif du discours ambiant, même s’il ne s’agit pas ici de les considérer sans intérêt.  Au sein  des ouvrages, dont elles font  bien opportunément  la promotion, elles méritent certainement d’être consultées, comme tout texte qui permet à une personne de s’exprimer sur le sujet de son choix. N’est ce pas ce que je fais ici !Mais l’écrit n’est pas la parole et dès que des intellectuels s’exposent dans un studio ou sur un plateau de télévision ils s’offrent au Moloch médiatique qui ne peut que réduire leur propos à un ersatz de pensée. Ne voulant pas, à ce stade, me laisser entrainer dans une digression critique pourtant, que je juge par ailleurs, nécessaire2,  je la dissocie de ce texte, et laisse le choix au lecteur de la consulter dès maintenant, plus tard ou pas du tout…Ici!
    Je l’ai également posté en commentaire sur France Culture,… qui ne l’a pas accepté !

Mais revenons à l’intitulé de cet épisode radiophonique : « Suicide assisté, la loi peut-elle s’affranchir de la morale ? ». Est-ce raisonnablement le bon angle d’attaque ? Car de quoi parlons-nous ? De ce que la morale et le droit doivent être ou bien de ce qu’ils sont dans la réalité contemporaine ? D’évidence, la corruption des mœurs économiques et politiques et la distance qui les sépare des grands principes censés les fonder ne permet certainement pas une approche éthique sereine.  D’autant que, cette rupture ne date pas d’ hier, et que la confusion entre le bien et le juste me semble parfaitement ontologique.
Et puis « philosopher »3 sur ce sujet, comme sur tout autre d’ailleurs, bien que ce soit un excellent exercice cérébral, et que cela permette d’occuper et donc de faire vivre un grand nombre  d’intellectuels médiatiques, ne peut être d’aucune efficacité. Le relativisme (donc l’immobilisme) ne pouvant  que l’emporter  à l’écoute d’avis contradictoires de plus en plus motivés et affinés. 
Dans une France où deux mille personnes se suicident par an, pour une grande part acculées au désespoir par des conditions de vie, de travail ou relationnelles indignes n’y a-t-il pas une tragique ironie (ou une volonté délibérée)  à, pour la troisième  fois en 11 ans4, saisir le conseil d’éthique, organiser un débat parlementaire et mobiliser l’ « Opinion Publique » afin de s’interroger aussi scrupuleusement 5 sur le bien fondé d’un droit à mourir, finalement assez évident car juridiquement incontestable et de surcroit revendiqué par 80% de la population. 
Pour avoir une chance de comprendre cette inertie et ces résistances  il me semble nécessaire, écartant, dans un premier temps, toute autre dissertation morale, de mettre à jour les enjeux de pouvoirs souterrainement à l’œuvre qui concernent essentiellement les champs médical et politique.
Lorsque l’on observe la réalité au plus près, dans les services médicaux concernés (hôpitaux, EHPAD,…) les pratiques euthanasiques s’avèrent assez courantes, avec plus ou moins de résistances, de concertations et  de délicatesse, mais la plupart du temps dans un hypocrite mutisme  (10 000 à 15 000 cas par an). Et, l’on touche certainement là, à une des causes  essentielles de ce blocage institutionnel, car le « non-dit » ne concerne pas uniquement le tabou de la mort mais est bien une constante de l’activité médicale moderne dans son ensemble.

  1. Depuis les origines celui à qui l’on attribut, qui a, ou bien s’arroge, le pouvoir de soigner en impose à ces congénères et acquiert ainsi, un statut social de dominant. Et ceci court tout au long de l’histoire de la médecine, du shaman au chirurgien High-tech, du sorcier au mandarin. Comme tout pouvoir, celui ci n’a pu se perpétuer que par l’hermétisme de ces pratiques, de son langage et de la production d’un savoir d’initié et dont il est facile, pour tout un chacun, de constater, encore de nos jours, l’indéniable persistance.
    D’autre part, la globalisation orchestrée par le libéralisme économique considère  la santé, ainsi que toute autre composante de la condition humaine, comme une source d’exploitation et de profit, au nom, comme toujours, de la « rationalisation » et de l’ « efficacité ». La privatisation progressive mais généralisée des « services de soin » en atteste un peu plus chaque jour ; même si  l’irréductible antinomie entre le capitalisme, par essence individualiste, et la nécessité de solidarité collective, consubstantielle au fait de prendre soin d’autrui,  a généré de nombreux foyers de résistance, malheureusement, de mon point de vue, tous en passe d’être inéluctablement soumis.   
    Toujours dissimulés derrière l’idée de « progrès » qui légitime sans frein possible l’industrialisation des actes médicaux, les « décideurs » (politiques, financiers, entrepreneurs, etc.) veulent (car ce n’est pas totalement achevé) radicalement transformer, en quelques décennies,  la relation entre la médecine et le citoyen. De ce dernier, ils cherchent à faire, comme partout ailleurs, un simple consommateur et de la première un « libre » service de soins, pléthorique et parcellarisé, dont le caractère « public » ne serait plus qu’une enseigne obsolète vouée à la poubelle de l’histoire.
    Resituée dans ce contexte, la « fin de vie », quelle qu’en soit la forme, doit être regardée froidement comme un simple secteur du processus de rentabilité mis à l’œuvre par l’industrie médicale directement reliée  à l’industrie pharmacologique, toutes deux, en parfaite connivence d’intérêt. 
    Mais, bien sûr, et c’est chaque fois le cas lorsque l’on cherche  à analyser et mettre à nu la mutation des superstructures de nos sociétés, je m’expose aux démentis apparents fournis par les pratiques quotidiennes des personnels en première ligne.  C’est une constante valable pour l’ensemble de ce que l’on pouvait nommer, il y a peu, les « services publics » : L’éducation nationale, la poste, les télécommunications,  la production et distribution d’énergie, le transport routier et ferroviaire, etc., …et évidemment la santé ! On remarquera que dans cette liste, mis à part, en partie, l’éducation, tous les autres secteurs sont d’ores et déjà acquis au Monopoly de la privatisation. Mais même là, subsiste encore une « culture »de ce qu’a été l’idéal des fonctionnaires du service public, systématiquement et honteusement dévalorisés depuis les années 80, qui ont, contre vents et marées, limités et adoucis les conséquences délétères de cette détérioration programmée du lien social sur la population. Et c’est tout particulièrement le cas de toutes les personnes en contacts directs avec les patients, à qui je rends  ici hommage et que je n’associe en rien au processus en cours et  qui préservent, tant bien que mal, une « chaleur » humaine, bien trop coûteuse, donc inutile, du simple point de vue rationnel et gestionnaire !
    Ceci posé et  puisque l’actualité en donne toujours l’occasion, il suffit, aujourd’hui, d’observer la dégradation organisée (voire la suppression annoncée) du statut des Sages Femmes en France et en Allemagne, pour se convaincre de la véracité du processus à l’œuvre.  La médicalisation généralisée des naissances,  via le développement des maternités hospitalières, a progressivement dévalorisé et repoussé à la marge l’activité de sage-femme (ils sont rares mais certains hommes l’exercent…) en même temps qu’elle « technologisait » l’accouchement, au nom de la sécurité de la femme et de l’enfant. En Allemagne,  où la situation est pire qu’en France, elles sont payées à l’acte et doivent s’assurer elles-mêmes face aux risques encourus (décès du nouveau né, malformation, etc. .) soit 5000€ de prime au minimum  par an ce qui les amènent progressivement à abandonner l’obstétrique. En France elles ont un statut paramédical qui limite leurs salaires mais endossent  néanmoins, comme Outre-Rhin,  la responsabilité juridique en cas de problème graves; elles sont en grève depuis deux mois dans de nombreux établissements dans la quasi indifférence générale; alors qu’ il serait facile de lire dans les contraintes révoltantes qu’elles subissent, la mécanique implacable en cours qui tend à établir un protocole de rationalisation de tous les « actes médicaux » où le facteur affectif et humain n’a plus sa place, pour la seule et bonne raison qu’il n’est pas quantifiable. Or la naissance est, par essence, un acte naturel, qui dans la majorité des cas, ne devrait nécessiter qu’une simple assistance empathique, compétente et qui devrait avoir lieu, le plus souvent  à domicile ou dans des lieux spécifiques à échelle humaine. Les sages femmes (ou hommes) devraient être les primordiaux et officiels interlocuteurs d’accompagnement de la grossesse et de l’accouchement  et à ce titre socialement valorisés, juridiquement protégés et en prise direct avec les hôpitaux et/ou les cliniques en cas de besoin (certains pays résistants, comme le Danemark, se sont déjà engagés dans ce sens, avec un incontestable succès). A contrario, il va de soi que ce qu’elles représentent encore aujourd’hui  est un frein, considéré comme coûteux et inutile, à la gestion boutiquière de l’administration de la santé et qu’elles sont donc intentionnellement  précarisées. Et que déjà fleurissent des  sortes d’« usines à bébés » au sein des grandes métropoles, lieux stériles et déshumanisés, dont on devrait,  s’il nous restait un peu de lucidité, pressentir avec effarement, l’évolution programmée vers de vastes fermes high-tech dédiées à l’élevage du bétail humain.
    Bien que ce long détour, en apparence  à l’exact opposé du sujet ici traité, puisse, à priori, surprendre ce qui suit devrait lui donner tout son sens….
    D’abord parce qu’il permet, par effet de symétrie, de se demander ce qui empêcherait un système économique capable de confisquer, de monopoliser  et au final d’ « industrialiser » la gestation et de spéculer sur l’enfantement (tendance actuellement peu contestable), de ne pas en faire de même pour nos derniers instants …  
    D’ailleurs, la marchandisation de la santé ne s’était pas arrêtée aux portes de la mort puisque les obsèques sont depuis fort longtemps, une activité parmi les plus lucratives. Mais considérer l’épisode de vie, plus ou moins long, qui  précède la fin de nos existences comme une source de profit, voilà bien une authentique admirable nouveauté…
    Alors, vous l’aurez compris, il ne s’agit plus d’observer les conséquences de l’allongement de la durée de vie, comme on nous en rebat les oreilles,  en terme de coût mais en terme de rendement et ce changement de perspective permet un nouvel éclairage de cette réalité.
    La privatisation des services de santé a pu se développer en phagocytant insidieusement le modèle de solidarité social antérieur : « La sécurité sociale » et, de plus, très paradoxalement, au nom de son amélioration. Si l’on regarde attentivement le processus à l’œuvre il s’agit bien en fait de détourner l’argent public destiné à la solidarité sociale vers des entreprises privées censées fournir un service mieux géré parce que rationalisé. Ce qui pourtant signifie, en langage capitaliste, réduire les coûts de production par tous les moyens possibles afin d’optimiser les profits. D’ailleurs la question qui s’impose ici serait de comprendre pourquoi il est encore nécessaire d’avoir à le rappeler … !?
    Si l’on regarde la médecine du point de vue des critères du monde libéral le patient apparait immédiatement comme le consommateur idéal. De sa naissance à sa mort il est susceptible d’avoir besoin d’acheter des services médicaux ; et même si, étrangement  toujours en bonne santé dans un environnement pourtant extraordinairement pathogène (pollution, stress, alimentation dégradée, irradiation, etc.), il sera facile de le convaincre, qu’il n’est en fait qu’un malade potentiel en sursis et, sous prétexte de dépistage prétendument salvateur, de l’entretenir dans une insécurité permanente évidemment génératrice de toutes sortes de pathologies. Quel serait donc alors l’intérêt d’un tel système à abréger nos agonies ? 
    Je mesure, bien évidemment, ce que de telles affirmations peuvent avoir de choquant et de transgressif vis-à-vis de notre vision préétablie des agents de santé et surtout de celle qu’ils ont d’eux-mêmes. Mais, et je me répète, ce ne sont pas eux qui sont à l’origine de cette dérive et, s’ils y participent, c’est, pour leur grande majorité, en toute inconscience et persuadés, eux aussi, qu’ils œuvrent pour le bien commun.
    C’est notre lot à tous d’être asservi à un système économique et politique qui marchandise la totalité du réel en nous faisant croire que c’est le meilleur des mondes dont nous pouvons rêver. Penser que la santé en est exclue exige une grande naïveté ! D’ailleurs, pour ce qui est de l’industrie pharmaceutique,  de nombreuses preuves de son hallucinante prévarication, sont déjà depuis des décennies étalées sous nos yeux sans qu’aucune décision politique d’envergure n’ait véritablement tenté de s’y opposer et de mettre fin à ses conséquences dramatiques sur la population (effets secondaires délétères des vaccinations de masse: Hépatite, grippe, cancer, etc. ; sang contaminé ; Thalidomide ; Vioxx ; Médiator ;  Statines et cholestérol ,…la liste est sans fin… !)6. Bien au contraire, à chaque scandale révélé et pudiquement dénommé « crise sanitaire » la corruption des autorités officielles de régulation est pleinement mis en évidence, voire celle des ministres en charge de la santé (par exemple Fabius en France pour ce qui concerne le sang contaminé, pour ne citer que lui, mais il est vrai que je lui voue une affection toute particulière… !) sans pour autant les voir définitivement condamnés et mis à l’écart de toutes nouvelles responsabilités.
    Quant à l’industrie hospitalière, de plus en plus assujettie, à l’univers technologique et donc à son marché, elle se transforme progressivement en « garage médical » où nous sommes conviés à nous faire « scanner » et, si possible, « réparer » ! Les analyses, l’imagerie et l’ordinateur sont en passe de remplacer le diagnostic humain (celui qui décide de notre sort ne nous rencontre presque plus !) et du fait de la parcellarisation des savoirs dit spécialisés nous voilà considéré comme un simple assemblage de parties susceptibles d’être ôtés ou remplacés. Sans  développer, ce que je ferais peut être un jour dans un autre texte, il est déjà clair que les cliniques privées et les établissements hospitaliers publics (ce qu’il en reste !) sont devenus l’essentiel débouché de ce qu’on  nomme  « le marché des dispositifs médicaux  (DM) ». Reliés, pour la plupart, aux grands groupes mondiaux pharmaceutiques ils avoisinent aujourd’hui les 220 milliards d’euros de chiffre d’affaire ; dix pays se partagent 80% du marché avec la France en 4èmeposition (4% du marché soit 6  milliards d’€) derrière les USA (41%), le Japon (10%) et l’Allemagne (8%)7. Ces chiffres parlent d’eux même et laissent un peu rêveur lorsque l’on s’aperçoit qu’à l’inverse du marché des médicaments toutes ces entreprises œuvrent dans la plus totale discrétion. Peut-on pour autant penser que leurs « stratégies marketings » en sont moins corrompues ? Ce qui est sûr et apparait très clairement dans le rapport que je cite en bas de page c’est la planification organisée en prévision des maladies en cours et des évolutions envisagées (sociales, géographiques et surtout  technologiques). L’ampleur des « mises de fonds »  engagées, à court et moyen terme, ne peuvent se légitimer, comme dans tout autre domaine industriel, qu’en fonction  d’un « retour  garanti  sur  investissement » ; ce qui est le cas puisque le secteur profite, depuis de nombreuses années d’un taux de croissance entre 6 et 10%. Or, en toute bonne logique l’augmentation de l’offre et de la qualité des soins  devrait faire baisser la demande c'est-à-dire éradiquer certaines maladies, diminuer le nombre de malades et les soigner plus rapidement.  Donc diminuer progressivement le recours aux services médicaux. Mais pourtant, sans avoir recours à de fines analyses statistiques officielles, tout un chacun ayant du se rendre dans une salle d’attente d’un cabinet médical, d’un hôpital ou dans une pharmacie, aura pu facilement constater que leur fréquentation, ces dernières années, ne s’est pas particulièrement affaiblie ;  du reste, pour revenir aux chiffres, il est de notoriété publique, que les dépenses de santé sont en constante progression depuis des décennies8 bien que leur remboursement par la Sécurité Sociale diminue d’année en année9 et que les cotisations sociales et/ou privées, elles, ne cessent d’augmenter. Cherchez l’erreur ! Pourtant tout s’éclaire si l’on considère chaque individu comme un futur malade potentiel, surinformé des risques qu’il encourt par une politique systématique de « dépistage précoce » (…si vous n’êtes pas malade c’est juste parce que vous ne le savez pas encore !) et devenant progressivement, l’âge aidant,  consommateur addictif de diagnostics technologiques (imagerie, analyses), d’actes chirurgicaux  et de médicaments. Il ne s’agit plus de vivre en bonne santé mais de survivre à l’agression pathogène du monde et du vieillissement grâce aux « fabuleux progrès de la médecine moderne » et à la mythologie qu’elle a su bâtir autour de ses bienfaits.10 
    En septembre 1994 le Dr Lucien Mias11 écrivait déjà ceci : « Un double mythe ...Dans l'esprit du grand public l'augmentation de l'espérance de vie à la naissance est due aux progrès des sciences médicales. Comme on ne peut arrêter le progrès scientifique, l'espérance de vie et la longévité moyenne ne cesseront d’augmenter….. Les progrès sont plus en rapport avec l'élévation du niveau de vie qu'avec la pratique médicale…. De 1870 à 1930, c'est dans les classes les plus défavorisées économiquement et culturellement que la consommation médicale par habitant fut la plus basse et le gain d'espérance de vie le plus élevé… [Et pour finir…] En ce qui concerne la quantité de vie, on peut donc supposer que son augmentation est plus en rapport avec le niveau économique global des nations qu'avec le niveau de la consommation médicale. » 
    La (bonne) santé a été extirpée de la responsabilité individuelle au profit d’une organisation médicale de plus en plus mercantilisée et déshumanisée, qui nous promet toujours, « dans un avenir proche », ce qu’elle n’est pas capable d’offrir au présent : Le mythe de l’éternelle jeunesse et de l’immortalité.
    L’omnipotence affichée et prétentieuse de la science médicale et de ses prosélytes se veut tendue vers un seul objectif : Faire reculer la maladie et la mort, voire même pour les plus exaltés, l’éradiquer.
    Il est clair que cet absurde combat démontre à quel point il est illusoire de penser que l’euthanasie puisse être ratifiée et promue, de son plein gré, par cette médecine là et facile de comprendre sa répulsion, sur le plan symbolique et en tant qu’institution, à abréger la vie !
    Et nous voilà enfin rendu à ce qui nous occupe ici: L’euthanasie.
    Le vieillissement démographique12 couplé à  l’allongement de la durée de vie et à l’éclatement de l’ancestrale solidarité familiale (à relier au déploiement orchestré de l’individualisme consumériste), a engendré une transformation radicale  de la prise en charge sociale des « personnes âgées » tout particulièrement de celles, de plus en plus nombreuses, qui deviennent « dépendantes ». Et nous n’en sommes qu’au début….    
    La mutation progressive des hospices (religieux pour la plupart) en « maisons de retraite » (EHPAD aujourd’hui  ou quelque soit  le nom que l’on a pu leur donner)  est  évidemment à associer à la nouvelle solvabilité des « ainés » des classes moyennes et populaires devenus économiquement autonome  par l’institution du régime de retraite par répartition (fondé, en France, sur la solidarité intergénérationnelle, au début des  années quarante  et en deux temps).13 Bien que la résistance du modèle social français permette encore un subventionnement partiel de certains établissements,  la privatisation de ce « secteur » est en progression croissante (Depuis 2002, le public a perdu 5% des parts de marché au profit des établissements privés commerciaux. Entre 2003 et 2007, 61% des places pour personnes dépendantes ont été créés par des promoteurs privés) et le coût moyen mensuel à charge du résident a explosé (de 1500/1800€ dans le public à 3000€ et plus dans le privé). Or la retraite moyenne en France oscille, à ce jour, autour de 1300€…. !!! En fait la vieillesse (et son corolaire la dépendance) sont effectivement devenus des « marchés» comme les autres. Il est bon de savoir, pour s’en convaincre un peu plus, que les Allemands, faute de structures assez nombreuses et financièrement abordables, sont amenés à « délocaliser » leurs parents et grands parents  en République Tchèque  ou en  Thaïlande ou à embaucher des infirmières à domicile venue d’Europe de l’Est.  Etonnant, non !?
    En définitive, tout cela amène à créer des mouroirs (mais rentables !) où la société indigne d’elle-même offre à une génération  la possibilité de s’affranchir de la responsabilité  de celle qui l’a engendrée lorsqu’elle perd son autonomie. Et tout se passe comme si chacun d’entre nous, pourtant  (l’âge avançant !) dans l’impossibilité d’ignorer ce qui l’attend, continuer de croire (peut être justement par le miracle annoncé de l’utopie médicale) qu’il allait pouvoir en réchapper. Car il suffit de passer une fois le seuil d’un EHPAD, quelqu’en soit le degré d’humanité du personnel, pour être définitivement assuré de ne pas vouloir y finir sa propre vie.
    Néanmoins, en imaginant une société débarrassée du  « Profit »  comme premier et seul  objectif,  le regroupement ou plutôt, osons le terme, la collectivisation du « dernier âge » pourrait peut être avoir du sens. Rêvons un instant (pourquoi pas ?) d’un pacte transgénérationnel financé par nos impôts via l’état, dans lequel, tous concernés, nous (le peuple !) aurions défini la charte de fonctionnement de lieux d’accueil dignes de ce nom où il serait possible, si nous le souhaitions, de passer encore quelques années,   et dans lesquels, enfin solidaires, nous pourrions surtout , librement, à tout moment  et en toute sérénité, décider de notre fin. Ce serait alors l’exacte image inversée  des « maisons de naissance » que l’on pourrait enfin nommer avec  le même sentiment de gratitude et la même espérance  des « maisons de mort »! Et si vous pensez qu’à la fin de ce texte, je nage en plein délire, renseignez vous sur cette initiative collective française « La Maison des Babayagas » fondée par Thérèse clerc  qui a permis d’inscrire dans la réalité ce que personne  n’envisageait  autrement que comme une utopie et d’ouvrir ainsi une voie possible vers un monde meilleur. 
    Bien sûr, pour la généraliser,  cela présupposerait  une civilisation capable de regarder en face sa condition d’espèce mortelle, et de mettre sur le même plan le prodige de notre naissance avec celui de notre disparition. Avons-nous la moindre chance d’évoluer dans ce sens et si non, reste-t-il autre chose que notre disparition (en tant qu’espèce) déjà programmée ? 
    Or, cette question, que cette séquence radiophonique, n’a jamais abordée, englobe bien évidemment celle de l’euthanasie et, seule,  lui donne tout son véritable intérêt. Il est impossible d’organiser socialement la mort individuelle sans changer radicalement de paradigme éthique.  Et pour ce faire, en premier lieu, il est indispensable d’affronter la contradiction lamentable que révèle, à contrario, notre infinie capacité à planifier, administrer et parfois même justifier les massacres  de masse, et de plus, au stade où nous en sommes, à la banaliser par le spectacle « informatif » de son aberrante quotidienneté.  Ce simple télescopage moral, pourrait (devrait ?) suffire à, dans un premier temps, purifier ce soit disant débat de société d’une grande part de l’hypocrisie qui, définitivement,  à ce jour, le discrédite.
    Lorsque des centaines de personnes meurent chaque jour dans des conditions dont je vous épargnerai  ici  l’horreur, victimes de conflits armés provoqués, tolérés ou simplement ignorés par une classe dirigeante mondiale impuissante ou complice, comment tolérer qu’elle s’arroge le droit, simultanément et au nom de la morale, de refuser à celui qui a décidé librement de mettre fin à ses jours de pouvoir le faire paisiblement, sans violence et si besoin est, assisté de personnes compétentes. 
    La mort violente, ignoblement exhibée et banalisée par l’ensemble des médias, demeure, d’une manière bien étrange, un philosophique tabou lorsqu’il s’agit d’envisager la nôtre alors que celle, de ceux que nous percevons comme « étrangers », nous laisse manifestement bien indifférents. Et que je sache, ce paradoxe ne torture pas beaucoup les intellectuels  qui se pressent aux portes des studios ….
    Alors, je voudrais réaffirmer, en  solitaire mais avec force ce que je considère comme un truisme mais que notre inconscience collective nous fait rejeter avec effroi :   Au même titre que naître, mourir est une nécessité « vitale ».
    La discussion stérile sur le droit à mourir (dans la dignité, etc.) est sans fondement. En réalité nous devons  mourir, et au double sens du terme. C’est un devoir et, en tant qu’être conscient, nous le savons….
    Nous constituons une espèce (comme l’ensemble du vivant sur cette terre) dont l’évolution est directement consécutive au caractère mortel des éléments qui la composent. L’immortalité en signerait la fin ! Nier ce principe de réalité en s’appuyant sur une idée de progrès, dont j’ai déjà démontré plus haut l’inanité, nous entraine, en tant qu’espèce, dans un cul de sac évolutif qui ne peut  s’achever que par notre dégénérescence, voire notre pure et simple extinction.
    L’accepter permettrait de redonner tout son sens à la vie: Prodigieux intermède entre deux inconnus, où l’ « énergie lumière » se matérialise et se « réfléchie » ! De rien à rien, nous humains, discernons, parfois et de manière éphémère, notre  potentiel accès à la conscience de notre être. Cet état, aussi précaire et improbable soit-il, justifie, à lui seul, notre présence sur cette chimérique planète. La naissance comme la mort n’en sont que les portes d’entrée et de sortie. Cherchez à condamner la seconde   au même titre qu’ « industrialiser » la première ne peut que réduire l’intérieur au rien qui l’entoure.

 

Le 12 février 2014
Singulier.eu

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1 Trois intervenants/Deux philosophes et une psychologue : André Comte-Sponville, Marie de Hennezel, Jean-Cassien Billier

2 C’est ici ! « Suicide assisté, la loi peut-elle s’affranchir de la morale ? »: Un nouvel  exemple de  la faillite de France Culture !  Cette critique s’adresse directement à André Comte-Sponville et à ses positions, de sa part inacceptables,  sur la peine de mort…

3 Je mets des « » car le terme n’est pas  utilisé dans son sens plein qui implique un engagement politique et donc, en l’occurrence,  pourrait  apporter bien sûr des réponses pratiques. D’ailleurs n’est ce pas ce que j’essaye de faire ici….!

4 La loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie est une loi française adoptée le 12 avril 2005, promulguée le 22 avril 2005 et publiée au Journal officiel le 23 avril 2005. Cette loi est promulguée à la suite de la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades.

5 D'une manière scrupuleuse; de façon à satisfaire aux plus grandes exigences morales.

6 A consulter La corruption médicale organisée un texte de l’avocat Philippe Vanlangendonck

7 J’ai mis en ligne et en Pdf le rapport d’une « Agence d’intelligence économique » (excusez du peu !) la DIE sur Le marche des dispositifs médicaux particulièrement édifiante et instructive sur l’évolution. Ici !

8 En 2001, les pays de l’OCDE ont dépensé 8,4 % de PIB pour la santé, contre 5,3 % en 1970. De façon générale, la croissance réelle des dépenses de santé a été plus rapide que celle du PIB, de l’ordre de 1 point en moyenne sur la période 1990-début des années deux mille (3,3 % contre 2,2 %)

9La Drees* a présenté le 10 septembre dernier les comptes nationaux de la santé, confirmant la tendance à la baisse de la part des frais de santé pris en charge par la Sécurité sociale. Les remboursements de la Sécurité sociale ont représenté 75,5 % des dépenses en 2011, soit 0,2 point de moins qu'en 2010 (et 1,5 point de moins qu'en 2004).

10 Tout ceci ne concerne bien évidemment que les populations solvables ce qui divise le monde en deux parties bien distinctes : Dans 22 pays, en 2008, les dépenses de santé ont été supérieures à 3 000 dollars par habitant et par an. Dans 27 pays, elles sont inférieures à 30 dollars. En 2010, un Français a dépensé pour sa santé 390 fois plus qu'un Érythréen…..

11 Dr Lucien Mias, malheureusement plus connu pour ses exploits sportifs de rugbymen que pour sa pratique et ses écrits médicaux, est l’auteur d’un texte remarquable intitulé « La médecine face à la vie, l'économie, la science...et le médecin intérieur » dont est tiré la phrase que je cite et que je mets à disposition ici.

12Le vieillissement de la population est un phénomène durable : la proportion des personnes âgées est passée de 8 % en 1950 à 11 % en 2007 et dépassera 20 % en 2050. En 2000, on dénombrait 600 millions de personnes âgées de 60 ans et plus, en 2006, plus de 700 millions et elles seront, en 2050, environ 2 milliards. http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/vieillissement/101627

13 -Le décret loi du 14 mars 194112 du régime de Vichy crée l'AVTS, premier étage du minimum vieillesse, et une pension de retraite par répartition pour les assurés du commerce et de l'industrie et les professions agricoles dans le cadre de la « Révolution nationale ». Elle est mise en place par René Belin, ancien dirigeant de la CGT devenu ministre du Travail sous le régime de Vichy. « Pour amorcer son fonctionnement, l’État français, aidé par d'anciens dirigeants CGT, y affecte les fonds de retraite capitalisés depuis 1930 ».
-Le régime de retraite par répartition en vigueur en France depuis 1946 résulte d'un vote, le 26 avril 1946, de la première assemblée législative élue après la Libération, adoptant un projet conçu et mis en place, dans le cadre de la Sécurité sociale, par Pierre Laroque et Alexandre Parodi. La loi du 22 mai 194619 institue les régimes de base de tous les assurés sociaux, quelle que soit leur profession, et encadre la création des régimes de retraite complémentaire obligatoires.